mercredi 16 juillet 2008

EN VOLANT... AU VOLANT!


Une partie d’échecs contre Kasparov
Est un jeu d’enfants comparée à la conduite de fauves
Sur les pseudos routes en gruyère
De nos sublimes villes prospères !
Les fables de la Fontaine se racontent sur nos routes,
La tortue qui rattrape le lapin, la fourmi qui écrase son amie la cigale en choucroute !
Le corbeau qui toise le renard d’un arbre perché du belvédère,
Bref, une vraie jungle sur nos routes meurtrières !
D’un dos d’âne à un dos d’âne, de bosse en bosse,
Les routes sont des montagnes russes, des colosses.
Et si par malheur ta caisse, tu la gares
Sans prêter gare
A la grosse caisse bleue qui avale tes pièces
Et te délivre le ticket de la sagesse,
Alors adieu ta caisse, bonjour la fourrière,
Et plus de pièces tu payeras à ceux qui gèrent
Cette fameuse fourrière,
Créée de nulle part, sortie d’un néant éphémère !
Et si par bonheur tu récupères ta caisse,
Bonjour les malheurs sur les routes de l’ivresse !
Tu as beau crié ta tristesse,
La route te répond en écho : « Si tu savais ma détresse ! »…
Les feux clignotent à l’orange, les rouge et vert ont depuis belle lurette
Pris la poudre d’escampette
Et fuit cette poudrière à retardement
Où toutes les couleurs se confondent, imperturbablement,
Où tout vire au rouge, entre insultes et injures,
Bagarres et combats sur les routes de la torture…
Les keufs sont dépassés, entre leur sifflet et leur bâton
Qu’ils secouent avec une hystérie maladive sous un soleil de plomb,
Nargués par les fils à papa, en coupe tecktonick
Avec leur savate de plage dans leur décapotable à cent briques,
Sous leurs lunettes noires à minuit vingt six,
Dans leur jeans « Le temps des cerises »
Qui coûtent deux fois plus cher que la caisse du pauvre voisin apathique
Qui les voit voler dans leur bolide diabolique
Vers des abysses certaines…
Amen…

3 HOMMES ET UN COUFFIN


C’est l’histoire de trois hommes,
Amis, complices, réglés comme un métronome,
Ils ont grandi ensemble, dans le même quartier, dans la même rue,
Joué sur les pavés aux noyaux d’abricots et aux billes, sacrée tribu !

C’est l’histoire d’un couffin, venant du sud,
Avec ses anses en plastique, et ses fibres en alfa rudes,
Décoré d’un chameau approximatif, en fil de laine multicolore,
Il portait le nom de la ville où il fut conçu par des mains en or…

***

Le premier homme portait toujours le couffin,
En revenant du marché, de Carrefour, ou de chez le voisin…
Il le portait pardessus les épaules, sur la tête ou à deux mains,
Porter le couffin est un art, il en a fait son gagne pain.

Il le portait sans prétextes et sans complexes
Sur son dos qui se courbait de jour en jour et devenait convexe !
Il léchait les bottes de son patron et les talons de ses ex,
Dans ce monde qui le contemplait complice ou perplexe !

Il portait le couffin de l’aube à la tombée du jour,
Argumentait ses péripéties de belles paroles et de poèmes de troubadour,
Il distribuait les compliments et prodiguait les louanges
Qu’il conservait jalousement dans son couffin étrange…

Il portait le même couffin mais changeait souvent de veste,
Au rythme de ses jours et de ses nuits qui empestent,
Il remplissait de ses glorifications hypocrites et de ses apologies funestes
Ses poches, avec un argent sali, teinté d’infamie et de bassesse.


***


Le deuxième homme remplissait son couffin,
De faux éloges et de compliments chafouins…
Il gonflait le torse heureux de ses galons clinquants,
Fier de ses grades qui pendillaient avec leurs rubans.

Il remplissait son couffin d’un argent détourné, volé
A une peuplade soumise, complice et rabaissée,
Une peuplade qui se défonçait au hash et à l’alcool
Pour l’enfoncer encore plus sur son trône éternel de farandole…

Il se remplissait les poches et les moindres recoins du couffin
Et transportait ces biens (sic!) vers d’autres couffins lointains,
Plus il s’enfonçait dans les délicatesses de son règne éphémère
Et plus le peuple se défonçait pour fuir sa souffrance et sa misère…

Mais un couffin plein ne suffit jamais, il faudrait remplir des centaines et des milliers,
On ne sait jamais, la vie nous réserve de mauvaises surprises, il vaut mieux assurer !
Le deuxième homme remplissait son couffin
Et la horde baignait dans son chagrin…


***


Le troisième homme vidait les couffins sans gêne ni retenu,
Il vous suivait avec ses yeux dévêtus, ses yeux civils, ses yeux en tenue,
Il vidait vos couffins pour emplir le sien de vos histoires, de votre histoire assassinée,
De votre passé, de vos gestes, de vos dires et de vos secrets.

Il se fondait dans la foule
Pour brouiller les ondes d’une masse qui s’écroule,
Il s’insinuait dans les méandres de vos vies,
Et vidait vos mémoires aigries…

Il vidait nos couffins comme on décervelait un humain,
Pour n’en faire qu’un robot obéissant, docile et inhumain,
Pour en faire une masse résignée, vidée de sa rage et de ses droits,
Un peuple aveugle, sourd, muet mais « roi » !

« Roi » d’une surconsommation déraisonnée,
« Roi » des soirées de beuveries déchaînées,
« Roi » de fantasmes sur des starlettes dénudées,
« Roi » d’un présent en paillettes orientalisé,
« Roi » d’un futur incertain, douteux, brouillé,
« Roi » d’une liberté sécurisée,
« Roi » des statistiques erronées,
« Roi » d’un royaume désenchanté…
Mais esclave de son présent opprimé.



***



Et nous, dans toute cette « ratatouille » sociale?
A quel homme ressemblons-nous ? Qui est notre égal ?
Au premier, porteur de couffins,
Lécheur de bottes, rapporteur, mouchard et mesquin ?
Au second, bâtissant son empire éphémère
Sur le dos d’une masse affaiblie et austère ?
Ou au troisième qui vidait les couffins
Et jouait de nos vies comme de pauvres pantins ?

A aucune de ces caricatures sociales,
A aucune de ces parodies bestiales !

Nous, nous sommes le couffin,
Portant dans ses fières fibres d’alfa notre rage et notre chagrin,
Nous sommes ce couffin au masculin,
Au féminin,
Qui crache sur leur déclin,
Sur leurs pots de vin,
Avec notre venin
Parfumé de jasmin,
Pour leur vagir en vers Alexandrins,
Notre envie de vie, notre amour de citadin,
Notre refus de leur Kremlin,
Du fond des mines ou du haut d’un gratte-ciel cristallin,
Nous tracerons notre chemin,
Nous battrons sur les tambourins,
Fiers d’être les couffins
De la Liberté !

Mère..


Si le ciel était amour,
Tu serais une étendue infinie d’un azur flamboyant,
Où je volerais, comme une hirondelle, dans les méandres de ton temps…

Si l’eau était amour,
Tu serais ces océans d’émeraude miroitants et cristallins,
Où je nagerais libre et affranchi, tel un fier alevin…

Si le feu était amour,
Tu serais les flammes qui réchaufferaient mon cœur,
Le soleil qui éclairerait ma vie, mes matins de bonheur…

Si la pluie était amour,
Tu serais ces perles qui abreuveraient ma soif de vie,
Ces gouttes qui noieraient mon chagrin, mes souvenirs endoloris…

Si les saisons étaient amour,
Tu serais mon printemps, ma fleur bénite,
Mes champs, mes roses, mes chrysanthèmes, mes marguerites…

Si l’alphabet était amour,
Tu serais mon alpha et mon oméga, mon début et ma fin,
Les lettres qui consigneraient les pages de mon destin…

Si la musique était amour,
Tu serais mes notes, égayant mes jours et mes nuits,
Tu serais ma symphonie, mes mélopées et mes mélodies…

Si la nuit était amour,
Tu serais ma lune, mes étoiles et mes astres du soir,
Tu serais la fée de mes rêves, ma lueur dans le noir…

Tu es mon feu céleste, mes chants qui résonnent,
Tu es la savoureuse brise qui caresse mes hivers et mes automnes…
Tu écris l’histoire de ma vie avec tes doigts de prude,
Tu arroses de ta pluie d’amour mes nuits de solitude…

Tu es ma révolution, mes écrits et ma foi,
Ma raison, mon égérie, ma rage et mon toit,
Tu es mon sang, ma chaire, ma lumière…
Mère…

LA CUISINE


Il est deux heures du matin,
Une insomnie nerveuse ronge mon lit solitaire,
Je fixe le plafond d’un regard vide, incertain,
Un regard amer…
Je n’arrive pas à dormir, ni même à rêver,
Je ferme les yeux, je m’efforce de ne plus penser à elle ni à son doux visage…
Des pensées cauchemardesques frôlent mes visions inachevées…
Elle me hante, me tourmente, me saccage…

Je me lève péniblement et me dirige vers la cuisine éclairée par la lueur de cette lune timide qui pénètre à travers les stores fermés.
Je me plais dans cette pénombre striée, dans cette obscurité éraflée, comme un animal en cage.
Je sens son parfum, sa fragrance vanillée pénètre mes narines et envoûte mes conduits olfactifs, à m’enivrer…
Je la sens en moi, elle est là, dans chaque coin, dans le moindre recoin de cette pièce, cette pièce qui a connu les péripéties tumultueuses de nos ébats, de nos disputes et de nos réconciliations, de nos passions et de nos amours…

Je caresse le rebord métallique et glacial de la petite table où nous mangions, où nous partagions ces éclats de rire dont toi seule as le secret, où nous nous perdions dans des disputes interminables et des pleurs inconsolables…

Tes mots surgelés que tu conservais bien au frais
Glaçaient mes veines et mon sang, paralysaient tes traits…
De temps à autre, tu en sortais une part bien glaciale
Que tu enfonçais dans mon corps, comme des pics fatals…
Pétrifié, transi, je te laissais faire, mes yeux frôlaient ta colère,
Je voguais sur cette mélodie stridente et polaire,
Je m’envolais au son de tes éclats de voix et des éclats de verre…
Puis vint le calme, les larmes et ton parfum embaumait ma chair…

Que tu es belle !

Je me rappellerai toujours ce matin d’automne, tu t’es faite belle pour moi, tu annonçais un printemps précoce mais prometteur, ton ventre s’arrondissait et tu avais choisi ce jour pour m’annoncer la grande nouvelle, dans la cuisine…
J’étais étourdi, abasourdi. J’avais l’impression d’être ce bâton de fondue qu’on enfonçait dans un bol bouillant et fumant pour attraper un morceau de viande perdu dans un océan ombragé…
Tu aimais jouer avec mes sentiments et mes émotions.
J’aimais te laisser jouer avec mon âme et mes sens…
Un double jeu excitant mais dangereux.
Bizarrement, l’odeur de la fondue emplit la cuisine vide et désertée…
Elle se mêlait à la vanille de ton tendre effluve…
Ma tête s’alourdit, je te revoyais ce jour là, ravissante, ensoleillée, radieuse…

Des soirs, je te retrouvai pétillante d’énergie, colorée, miroitante, comme les bulles de cette eau gazeuse qui t’abreuvait après tes petits repas minuscules de ton éternel régime amincissant, tu bouillonnais comme les laves d’un volcan d’amour… La cuisine devenait trop petite pour toi, l’espace de ton cœur envahissait les murs ocres de la pièce et tu l’emplissais avec ton humeur chatoyante et ta saveur exotique… J’adorais te regarder virevolter sur tes petits talons, comme une danseuse étoile qui tournoyait sur une scène d’opéra, tu étais gracieuse.

Que tu es belle !

D’autres soirs, tu étais plate,
Sans âme ni odeur,
Ton visage se renfermait, tu bougeais comme un automate
Sans âme ni chaleur…
Tes portes se renfermaient, je restais dehors, seul…
A te scruter dans ta solitude de femme,
Dans ton monde feutré, silencieux,
Dans ton monde de mélodrames…

Et puis un jour, à côté de mon café corsé, tu m’avais écrit un petit mot sucré, mielleux, pour me dire que tu m’aimais…
Un autre matin, tu avais laissé une lettre salée où tu maudissais ma race et mes racines parce que tu soupçonnais une tromperie inventée, insensée…
Je retrouvais parfois une parole poivrée d’amertume au lendemain d’une nuit de tourments…
Ce matin là, la table était vide, aucune lettre ne traînait sur la surface lisse… Aucune pensée sucrée, salée ou même poivrée ne vagabondait dans l’air lourd qui pesait sur cette pièce stérile, aride, pouilleuse.

De la chambre, je t’entendais parfois t’affairer dans la cuisine, te perdre dans des recettes abracadabrantesques importées d’un ailleurs lointain et aux noms savants impossibles à retenir. Le bruit de la vaisselle devenait de plus en plus sourd, au rythme de tes sermons dans lesquels tu maudissais le créateur de ces recettes inouïes. Mais tu savais parfaitement mettre ta prodigieuse touche personnelle dans ces plats et tu me régalais d’un dîner exquis, à la lumière de tes pupilles qui éclairaient mon monde et ma vie…

Et ce soir, je me retrouve seul, affamé de ton corps qui me manque tant et de ton cœur qui ne bat plus contre le mien…
Ce soir, je me retrouve seul, assoiffé de ta joie de vivre, de tes sauts d’humeur et de tes sourires angéliques…
Ce soir, je me retrouve seul, avec mes souvenirs ternis et ma mémoire fatiguée, je suis fatigué, épuisé à t’attendre, à attendre le bruit de tes pas dans le couloir, à attendre ton souffle qui me transporte, à attendre ta main qui me console, à attendre ton regard qui me réchauffe, à attendre… en vain…
Ce soir, je me retrouve dans cette cuisine, au milieu des plats vides et des ustensiles qui résonnent, qui sonnent faux, qui sonnent creux.
Je cherche une odeur à laquelle je m’accroche, un arôme qui me serve de balise, je cherche une histoire, un rire, une larme, une recette… en vain…

Tout est vide, le congélateur où tu cachais soigneusement tes humeurs glaciales, le micro-ondes où tu réchauffais un sentiment terni par le temps pour me le servir tiède et sans goût, les tiroirs d’où émanait la douceur de tes lèvres de cannelle et de ta peau suave, le four qui brûlait comme ton corps ardent et embrasé… tout est vide…

Je me promène, pieds nus sur le carrelage froid de cette pièce qui fut si chaude et si chaleureuse…
Je promène mon regard nu sur les cloisons froides de cette pièce qui fut si chaude et si chaleureuse…
Je ne sais plus combien de temps j’ai passé dans la cuisine, perdu dans mes souvenirs, égaré, errant dans mes pensées que tu as emportées si loin, avec toi…
La lune a cédé son trône nocturne à un soleil levant, rougeâtre, qui à travers les mêmes stores entrouverts me baignait dans des ondées capucines et dispersait sur le sol dénudé des stries vermeilles…
A côté de la fenêtre, dans le grand vase posé à même le sol, un unique tournesol cherchait dans une courbure éreintée cet éclat de l’astre lumineux qui commençait à peine à pointer ses rayons cramoisis dans le ciel ténébreux.
Je me sens fatigué, las et épuisé comme ce tournesol.
Mais j’envie le tournesol qui s’accroche à son soleil, à son Dieu de lumière, à sa raison de vivre.
Tu es mon soleil, ma déesse, tu as emporté ma lumière et ma foi, tu as emporté ma raison de survie.

Je referme doucement la porte de la cuisine. Le bruit résonne dans le silence comme un lourd portail métallique qui emmure ma mémoire aigrie.
Je retrouve notre lit, en solitaire, avec la même faim qui broie mes entrailles, une faim plus violente, plus douloureuse, la faim de toi, de ton amour de femme, de ton corps de femme…
Mes paupières sont lourdes, je m’endors avec l’espoir de te trouver à mon réveil à mes côtés, ou l’espoir de t’entendre chantonner, comme chaque matin, dans la cuisine…