jeudi 21 février 2008

BARBIE ET LES BARBUS

Barbie et les Barbus

Barbie a trois ans,
Ses boucles d’or
Tombaient sur ses pupilles d’océan,
Sa petite robe, multiflore,
Sentait la rose,
Sous une fine dentelle,
Ses lèvres écarlates récitaient des proses,
Des chansonnettes, des ribambelles…

Barbie a six ans,
Sous son regard innocent,
Son esprit assoiffé de vie,
Son cœur battant d’envie,
Elle prenait déjà le chemin de l’école,
Ses couettes tressées, sur un air de créole,
Un air de liberté sifflait sur ses joues charnues,
Elle volait de ses ailes candides, émue…

Barbie a onze ans,
Aux bras de son Ken, prince charmant,
Elle croyait au premier amour,
Au coup de foudre, à des poèmes d’un romantique troubadour…
Barbie jouait dans sa cour,
A la corde, au carré, aux jeux d’amours,
Premiers jeux interdits…
Jeux d’un plaisir inconnu, banni…

Barbie a treize ans,
Hirondelle affranchie dans un ciel étincelant,
Elle découvrait les premiers signes
Qui affirmait sa féminité, son rang digne
De femme accomplie, pure…
De femme immature…
Son premier pas dans cette vie de femme,
Le baptême par un sang, une flamme…

Barbie a seize ans,
Elle pensait déjà au mariage, aux promesses d’un dimanche de printemps…
Ses formes s’arrondissaient,
Son corps s’épanouissait…
Le bleu de ses yeux était plus intense,
L’or de tes cheveux était plus dense…
Dans ses rêves de femme-enfant,
Elle se prenait pour la belle au bois dormant…

Barbie a vingt ans,
Sur les bancs de son université, elle déchaînait les désirs ardents
D’une gente masculine affamée,
Vorace, avide de cette beauté endiablée,
Au sourire parfumé, enjôleur,
Aux cils ensorceleurs,
Vingt ans, l’âge de la tentation,
L’âge de la déraison…

Barbie, avec ses formes et sa beauté,
Devint une menace pour ses frères et sa communauté…
Trop belle, murmurait-on, trop sexy, trop tentante…
Un danger pour ces mâles en chaleur, qu’elle hante…
Son esprit et ses idées anti-conformistes,
Faisaient d’elle une bravade au sexe fort moraliste !
Ses concepts et ses pensées avant-gardistes
La diabolisaient aux yeux des mâles absolutistes !

Elle devint la femme à abattre,
L’ennemie jurée d’une peuplade acariâtre !
Elle s’attirait la foudre des barbes assombries
Et la jalousie des voiles obscurcis…
Barbie, du haut de ses vingt printemps,
Voyait sombrer ses rêves d’enfant,
S’envoler son prince charmant,
Vers un enfer tissé par les fibres de Satan…

Sa chevelure ambrée,
Se couvrit d’un voilage imposé, infligé…
Ses prunelles océanes
Brunirent sous la honte de sa soutane…
Ses lèvres pourpres
Pâlirent sous les discours fourbes…
Sa silhouette élancée, gracieuse,
S’enveloppa d’une tunique vielleuse…

Sous cet accoutrement suffoquant,
Irréligieux, incrédule, aberrant,
Barbie perdit son clinquant et sa splendeur
Et devint la candidate aspirée d’un mariage arrangé, pour un illusoire bonheur…
Les mâles s’alignèrent
Devant un paternel austère
Pour demander la main de ce fantôme féminin,
De cet être éteint…

Barbie, dans un coin obscur,
N’avait pour refuge que son esprit pur,
Ses idées de liberté et d’amour…
Elle n’avait pour compagnons de jour
Que les livres et les romans interdits
Qu’elle cachait sous sa couche noircie,
Et pour compagnons de nuit,
Que ses rêves impossibles, évanouis…

La haine hanta son cœur,
La peur envahit son corps abandonné, qui pleure…
Ce corps, objet de désir d’un mâle dominant,
Esclave d’un pagne indigne, accablant…
Son esprit, écrasé par des écrits inventés, éventrés,
Ses idées enterrées par des lois, sur mesure composées…
La rancune s’empara de ses prières absentes, travesties,
Vers un invisible repère, sur une carpette bénie…

Une nuit de pleine lune,
Un silence de mort régnait dans la maison d’infortunes,
Cette maison, jadis rose, aux portes dorées,
Sombrait sous la puanteur de dogmes insensés,
Barbie glissa de son lit alourdi
Par le poids de ses cauchemars aigris…
Elle s’assit devant sa glace, longtemps oubliée,
Déploya sa douce chevelure, ses mèches ensoleillées…

Elle se farda,
Posa un rimmel d’ébène sur ces cils de Saba,
Elle recouvrit ses lèvres d’un rouge flamboyant,
Et se sourit, dans ce miroir, longtemps absent…
Elle se parfuma,
Huma cette fragrance censurée aux senteurs de lilas…
Elle scrutait sa peau laiteuse, opaline,
Elle caressait cette chaire omise, orpheline…

Nue, les cheveux au vent,
Elle noua le voile autour de son cou frêle, battant…
Elle s’avança au centre de cette maison,
Devenue son éternelle prison,
Grimpa agilement sur une chaise,
Et attacha l’autre bout du tissu au pic de fer, en trapèze,
Enfoncé dans le plafond de l’infamie
Au dessus de sa tête d’impie…

Elle poussa le siège, d’un geste sourd et sec,
Et sans un cri, ses pieds se balancèrent dans un vide intrinsèque…
Elle peignait de son corps dénudé, sans voile,
La plus belle des toiles…
Elle peignait de son sang, de son être,
Le plus beau des tableaux de maître…
Elle sculptait avec sa dépouille embellie, sereine,
La plus belle des statues, la plus imposante des reines…

Elle imposera son corps mort
A ces yeux qui se détournent, à tort…
Elle imposera ses longs cheveux cuivrés,
A ces mâles qui s’esquivent, effrayés, apeurés,
Et qui vivent dans la crainte de leurs désirs
Et le déni de leurs plaisirs…
Elle imposera ses pensées de femme,
A ce monde de mélodrames…

Dans sa main, serré entre ses doigts
Ankylosés par un hâtif trépas,
Une feuille blanche
Se balançait au rythme de ce corps d’ange…
Une phrase, parafée à l’encre rouge,
Comme ce rouge qui recouvrait sa tendre bouche…
« Je suis née libre,
Je suis morte libre ! »…

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