mardi 19 février 2008

L'AVORTON

L’avorton



Elle était seule…
Elle gisait sur le parquet, baignait dans son sang crasseux et gémissait…


Les rues étaient désertes, nues…
Ses cris étouffés par une douleur profonde se perdaient dans le silence qui l’entourait…
Silence indifférent, silence honteux…


Elle était seule, avec sa graine, son embryon, son avorton qui se débattait dans ses entrailles, étranglé par un cordon de chair, strangulé par une vie incertaine…


Dans les abîmes de sa souffrance, dans le gouffre de son déchirement, dans le précipice de son supplice, elle se débattait pour survivre…
Elle se démenait dans sa détresse, dans le calvaire d’une mère abandonnée, perdue, délaissée…


Les contractions crispaient les traits épuisés de son visage blafard…
Ses lèvres bleutées, sèches, tremblaient de peur et de mal.


La peur d’être seule…
Le mal d’être incapable, impuissante…

Sur son chemin de croix, elle trébuchait sur les caillots qui coulaient de son intérieur…




Elle pleurait son deuil et priait son enfer…
Elle priait les saints et les démons…
Elle injuriait les dieux absents et sourds…
Elle s’enfonçait dans une mare impie, mécréante…
Elle s’accrochait à des injures profanes, jouissait dans une immoralité sceptique, dans une luxure dépravée…
Elle s’évadait, païenne, dans une déroute évanescente…
Son gnome s’agitait et broyait son profond…
Elle se colletait pour ramener sa main criblée sur son ventre endolori et caresser son germe, le tranquilliser, le rassurer…
Elle se mentait…





Elle chantonnait et lui narrait une vie de bonheur, lui promettait une existence de liesse et d’amour…
Elle lui mentait…


Ses yeux, aveuglés de larmes de désespoir, transperçaient le ciel pour atteindre un dieu indolent, pour le supplier, adjurer sa bonté, sa charité, sa clémence et sa grâce…

Les contractions reprirent de plus belle…
Elle voguait sur les écumes d’une aliénation enragée, d’une démence endiablée, d’un délire égaré…


Un séisme secoua ses viscères salis, maculés, entachés d’affront et de déshonneur…
Une tornade ébranla ses boyaux souillés d’infamie et d’opprobre…


La tête de l’avorton apparut, timide et délivrée entre ses jambes frémissantes…
Tête ternie par une souffrance annoncée…


Elle saisit son enfant, agonisant…
Sa respiration se fit plus bruyante…



Elle voulait hurler sa joie de serrer son novice…
Elle voulait aboyer sa peine de lui offrir une vie gâchée, noircie de remords et de regrets…
Mais elle se tut…


Elle le serra très fort contre elle…

Elle serra très fort le cordon autour de son cou…


Puis, elle se tut à jamais…

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