jeudi 21 février 2008

LE PACTE DU SANG

Le pacte du sang

Elle lui a offert son cou limpide.
Elle lui a offert sa peau exsangue et livide.
Elle lui a fait offrande de son corps étiolé, de sa vie hâve…
Mais il a refusé…

Ses mains tremblaient sur cette ultime page de son journal.
Elle avait rempli des feuilles à l’encre de ses larmes de regret et de son sang maudit.
Elle maudissait sa vie sans lui…
Elle se maudissait…

Elle l’avait rencontré, par une nuit suffocante d’un été caniculaire.
Le bitume était gluant, l’air toxique embrasait ses bronches à chaque inspiration.
Elle inspirait ce poison…
Elle l’aperçut.
Elle expirait de la passion…

Leur première rencontre fut brève, comme dans un rêve…
Dans ses souvenirs entremêlés, une étoile s’était posée sur sa chevelure blonde, en cette soirée magique, la guidant vers ce corps élancé, vers ce sourire envoûtant, vers son homme…

De cette rencontre, sa mémoire illuminée d’un soleil en pleine nuit était gravée, pour l’éternité, de l’image de ce mâle si imposant mais si fragile à la fois, de son odeur étourdissante, de son regard d’enfant pénétrant et cassant…

Elle voguait sur son nuage, emportée par les ailes de son chérubin de hasard, de son ange de coïncidence, de son séraphin de destin…

Ses doigts griffonnaient, affolés, fébriles…
Un mot écrit et réécrit des milliers de fois, comme si elle avait peur de ne jamais en faire assez, comme si elle craignait une fin proche…
Un sanglot l’étrangla.
Elle voulut crier, hurler son amour et sa peine, mais un long soupir rauque emplit ce silence de mort…
Un grognement de douleur profonde qui brûlait son cœur meurtri, son cœur perdu…

Sur l’air du temps de leurs retrouvailles nocturnes, des mélopées d’amour et de désir se tissaient.
Leurs chairs se confondaient…
Leurs lèvres s’écrasaient…
Leurs corps s’entrelaçaient et ne faisaient plus qu’un…
Il était en elle, de par son haleine prenante, ses paroles consolantes, ses caresses captivantes…
Dans son cœur, elle avait le cœur de son homme qui battait…
Dans ses veines, elle avait le sang de son homme qui coulait…
Le sang qui coulait…
Jusqu’au jour où…

Elle s’accrocha à son lit mais elle chavira, brisée, éventrée…
Son corps frêle et terreux s’effondra.
Etendue sur ce sol glacial, elle gisait, blafarde, sur une terre hautaine, se rappelant ce jour où…

Elle appréhendait, avec beaucoup d’impatience mais aussi de peur, ce jour où il l’avait invité chez lui, dans sa demeure, pour la première fois, pour lui avouer son terrible secret.
Leur amour était devenu trop intense, partager ce secret était donc devenu inévitable…

La table était dressée, les rideaux pourpres tirés reflétaient dans la grande salle une lueur érubescente, les flammes des bougies faisaient danser les ombres, les ombres de leur corps, l’ombre d’un seul corps…

Ses mots furent courts, clairs et poignants.
Elle voulut se réveiller de ce cauchemar interminable, sombre et oppressant…
En vain…
Ses mots résonnèrent dans la pièce muette, s’écrasèrent sur ces murs hostiles…

« Je ne suis pas un humain, je suis une abominable créature, bestiale, sanguinaire et odieuse.
Je suis l’enfant des ténèbres, un diantre échappé des feux de l’enfer, un bâtard baptisé du sang de Judas le traître, un ogre affamé de chair fraîche et de sang.

Je suis un vampire…

Je suis le vampire qui t’aime…
Je ne veux pas te faire du mal.
Je ne veux pas te condamner avec moi, dans le tourbillon de ma vie immonde, dans mes chimères barbares, dans mes faiblesses et ma folie, dans mes guerres cruelles…
Pars mon ange, fuis moi, laisse moi…
Pars… ».

Elle lui a offert son cou limpide.
Elle lui a offert sa peau exsangue et livide.
Elle lui a fait offrande de son corps étiolé, de sa vie hâve…

« Mords moi…
Condamne moi à vivre l’éternité à tes côtés et je serai la prisonnière la plus comblée de tous les temps.
Fais moi prisonnière de ton cruor, de ton cœur…
Fais moi esclave de ton infinité…

Ton mal sera mon bien.
Ton enfer sera mon eden.
Ta faiblesse sera ma force.
Ta guerre sera ma paix.
Ta folie sera ma raison.

Tu es le dieu que j’adule.
Tu es mon oracle et ma vérité.
Tu es ma foi, je ne crois qu’en toi…

Plante tes dents dans mes artères qui ne battent que pour toi…
Fais moi ta servante…
Mords moi…
Mords moi… ».

Elle était agrippée à ses pieds, prosternée devant le messager des abîmes, l’envoyé du schéol…
Elle le suppliait, dans un océan de pleurs et de désespoir…

Il l’attira tendrement vers lui, déposa un doux baiser sur son cou et lui murmura :
« Je ne peux pas mon ange…
Je t’aime…
Je n’ai jamais cru pouvoir aimer ainsi, un jour…
Comprend moi, je t’en supplie…
Pars et ne reviens plus jamais… ».

Elle avait attendu qu’il sorte de sa maison pour y rentrer, sans bruit…
La même odeur…
Les mêmes saveurs…
Inévitables souvenirs…
Dans ce havre de mort et d’hémoglobine, elle renaissait.
Son corps tournoyait, elle dansait sa dernière valse…
La danse de la mort.

Sur la table, elle étalait les pages de son journal comme on étalait sa vie…
Il était sa vie…
Elle ne s’était jamais sentie aussi vivante, aussi belle et désirable que dans les bras de son vampire.

Il a refusé son cou et sa peau.
Elle allait lui offrir son sang.
Le pacte du sang…
Elle se taillada, d’un coup sec les veines…

Fatales balafres
Pour étouffer les affres
De son amour…
Létales plaies
Pour éteindre les raies
De son astre de jour…

Elle se noya dans une mare de raisiné.
Un sourire vineux se dessina sur son visage blanc.
Angélique Geisha.
Elle lui offrait son sang, son amour…
Elle allait le rejoindre dans sa mort, dans son éternité…
Elle allait rejoindre sa vie…

Dans la pièce, un murmure s’éleva des pages de son journal où un seul mot avait noirci la blancheur des feuilles : je t’aime.

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