Une escapade au Père La Chaise
Sur la terre bénie du Saint Confesseur,
Sur le sol remué, ébranlé de l’auguste pasteur,
Je m’étais étendu, corps engourdi, âme en narcose,
Enveloppe charnelle hantée, déchantée, en hypnose.
Mes mains caressaient le sable fin, les vers sacrés,
Mes doigts s’agrippaient à une racine dénudée,
Ma chair s’abreuvait des siècles de légendes
Qui ont bercé ces jardins, closerie d’offrandes…
De ma couche de boue, des voix s’élevèrent…
Des chants, des cris, des supplices et des prières,
Des voix reculées, des berceuses enivrantes,
Des barcarolles sataniques, ondoyantes…
Sur ma volée céleste, dans mon envol mortuaire, l’air lourd empestait la souillure, une haleine affamée et avide se répandait sur les ombres obscures qui se tenaient, debout, autour de mon ultime demeure…
Une bouche insatiable crachait une oraison puante, funeste, de déchéance et d’hypocrisie.
Pourquoi ne reconnaître les éloges et les mérites d’un être qu’au moment où ses lambeaux sont déchiquetés par des larves voraces ?
Pourquoi ne voir l’autre qu’à l’instant où il disparaît sous des strates infinies de glèbe et d’humus ?
Pourquoi ?
Silence…
Les voix reprirent, plus fortes, stridentes, pénétrantes,
Je sentais une tiédeur m’envelopper, une apathie troublante,
Dans ma solitude, dans mon exil, dans ma torpeur,
Une liberté délirante brisa les chaînes de mon cœur.
Dans mon élan égaré, sur une crypte inconnue,
Mes pas foulaient des caveaux et des fosses sans issues,
Sur mon champ de repos, dans ma capule tamisée,
Une ronde s’organisait, célébrant mon arrivée…
Les tertres se vidaient, les corps se regroupaient
Autour de mon hypogée novice, de mon âme dévoilée,
Des rois et des valets, des amis et des ennemis,
Des artistes et des inconnus… des vies.
La vie, ou plutôt « la mort » s’organisait… Elle s’organisait au rythme des nouvelles venues…
Les voix savaient écouter, apprécier, partager, accepter et tolérer.
Les voix se soutenaient, soulageaient les maux et les peurs…
Les voix s’aimaient…
Dans cette « mort », à mille lieux de nos vies hostiles et glaçantes, de notre existence d’intolérance et d’indifférence, dans cette « mort », les voix apprenaient à revivre…
Dans cet au-delà craint et redouté,
Dans ce trépas d’effroi, d’épouvante et d’anxiété,
Les poètes tus récitaient des psaumes de liesse,
Les ténors muselés entonnaient des cantates d’ivresse,
Les âmes celées criaient une liberté tant rêvée,
Les voix bâillonnées revivaient…
Dans ce théâtre morbide, sur cette scène bannie,
Dans cette arène macabre, la mort est vie…
jeudi 21 février 2008
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