mardi 26 février 2008

K-MI-KAZ

K-Mi-Kaz



Enfant de nulle part,
Enfant épars…
Enfant d’ici et d’ailleurs,
Enfant mineur…

Chérubin perdu,
Ange abattu,
Aux ailes délabrées,
Au plumage scalpé…

Enfant égaré,
Désarmé de son cœur éthéré,
Enfant victime,
Enfant des abîmes…

Il se lève aux aurores,
La faim broie ses entrailles, les dévore...
Il enfouit la nudité de son corps frêle
Derrière des guenilles cicatricielles…

Le froid flagelle
Sa peau meurtrie par la grêle,
La pluie noie sa rage torrentielle
Dans ses larmes asséchées, cruelles…

Il a dix ans,
Dix printemps fanés, abîmés, déhiscents…
Dix ans de combat pour vivre,
Pour survivre, pour revivre…

Dix printemps d’un éternel hiver,
Dix automnes ont creusé sur son visage amer
Les sillons d’une haine meurtrière,
Les crevasses d’une impitoyable colère…




Il dévisage
Son visage
Dans le bout du miroir
Qui reflète son désespoir…

La misère a terrassé sa face,
Empreintes d’une furie de vorace…
Il essuie ses yeux vidés, son regard de glace,
Et part à la conquête d’un monde en disgrâce…

Dans ses mains squelettiques, chétives,
Il tenait ses armes, agrippait ses ogives,
Une éponge usée par des années hideuses,
Un seau d’eau à la propreté douteuse…

Il est kamikaze,
Dans sa ruelle qu’il embrase
Par les airs de jazz
Qu’il chantonne en phases…

Il s’arme de sa jeunesse oubliée,
De son enfance crucifiée,
Il louvoie de vitre en vitre,
Pour un coup d’éponge de ses mains de pitre !

Il aborde ses clients sur la voie,
Comme un faucon qui s’élance sur sa proie,
Il s’approche doucement, presque attendrissant,
Un regard de velours et un sourire émouvant…




Quelques paroles touchantes, théâtrales,
Incompréhensibles dans son jargon abyssal,
Une prière sentimentale, cruciale…
Et le tour est joué, magistral !

Il se rue alors sur la devanture en verre,
Avec ses armes de nettoyage massif, sa vigueur carnassière,
Ses gestes sont précis, ses mouvements acharnés,
Tant que le rouge est illuminé…

Au vert, la pièce tombe dans sa paume,
Il la serre, jalousement, tel un môme
Qui s’accroche au jupon de sa mère
Par crainte de la perdre dans une foule mortifère…


Et la journée passe,
De vitre en vitre, de glace en glace,
La frénésie gagnait ses gestes,
La fièvre secouait son corps funeste…

Certains le récompensaient d’un louis crasseux,
D’autres d’une grimace, d’un rire oiseux,
D’autres ne lui prêtaient aucune attention,
D’autres étaient gagnés par une peur, une contorsion…

Il ricane, il s’agite et s’éclipse,
Allume une cigarette grossièrement roulée, il inspire l’apocalypse
Et expire la lourde fumée de ses malheurs et de ses pleurs,
La lourde fumée d’une vie embrouillée, d’une vie de leurres…



La fumée embourbait ses idées floues,
Embrouillait sa vue de môme voyou,
L’odeur de la colle confondait son esprit endormi,
Le calfat grillait ses hémisphères salis…

La journée passe, et l’air se rafraîchit,
Les rues se vident et son cœur se remplit
De grisaille, de laideur,
D’abandon et de frayeur…

Il contemplait les autres bambins,
Bien coiffés, bien habillés, le ventre plein,
Derrière la vitre d’une vie tranquille, sereine, sans soucis,
Derrière une glace infranchissable, bannie…

Dans sa poche, mille fois recousue,
Une pièce, l’unique gain d’un long jour qui s’achève, déchu,
Une pièce qu’il tournoie, envieusement,
Trésor précieux, sur une terre de feu, dans un monde en sang…

Il parcourait les ruelles désertes,
Sous un clair de lune inerte,
Il contemplait les lumières violentes
Qui aveuglaient sa vue innocente…

Ses doigts jouaient avec la pièce,
Il se voyait déjà attablé, autour d’un repas copieux d’allégresse,
Il salivait, ses yeux secs pleuraient une tristesse,
Une hargne, une colère inconnue de braise…



Il voulait en finir,
Peut être mourir ?
Devenir martyr
D’une cause vaine, de son délire…

Il chassa les idées noires de son esprit noirci,
Il serra encore plus fermement son écu béni,
Il huma la senteur acide du goudron, son champ de guerre,
Et traversa l’asphalte, dans un élan de môme inconscient dans cette jungle carnassière…

Il se sentit envahi par une ondée de courage obscure,
Il revit le film sombre de sa vie et de ses journées impures,
Sa main suait, agrippait le sou vénérable,
Que ferait-il de ce trésor inestimable ?

Un repas qui apaiserait sa faim fauve ?
Des faîtages qui réchaufferaient sa modique alcôve ?
Des habits qui voileraient sa nudité avilissante ?
Ou une cigarette qui assouvirait son appétence dévorante ?

Non, il continuait son chemin, sur l’avenue qui se vidait,
Vers les marchands de fleurs qui bordaient le bitume maculé…
Il achèterait une rose pour la déposer en cette nuit de pleine lune
Sur la tombe de sa mère, partie trop tôt, maudite infortune…




Une rose rouge pour l’amour damné, perdu
D’une maman inconnue,
Rouge pour le sang versé, pour les larmes coulées,
Rouge pour son cœur, à jamais tailladé…

Une rose blanche pour la pureté de son amour,
L’amour d’un ange qui s’était envolé trop vite, pour toujours…
Blanche pour la poussière qui le transporte aux cieux
Pour embrasser sa douce génitrice, volée par un destin hideux…


Il achèterait une rose, peu importe la couleur,
Une rose qui aurait grandi dans les jardins secrets de son cœur,
Une rose symbole d’une naissance ratée,
D’une enfance malmenée, avortée…

Il s’arrêta en milieu de la route,
Cette route, amie éternelle, confidente, complice de ses péripéties et de ses doutes,
Il leva ses mains vers un ciel improbable,
Un dieu sourd, aveugle, indomptable…

Une lumière blanche l’aveugla,
Un bruit de métal, lourd, pesant, le heurta…
Son corps chétif s’éleva dans les airs, voltigea parmi les lucioles,
Et s’écrasa, sans bruit, contre la vitre, puis le sol…



Cette vitre, qui fut longtemps sa famille, sa raison d’être,
Ce sol, qui fut longtemps son toit et son hêtre…
Cette vitre sera sa fin, son deuil,
Le sol sera son cercueil…

La pièce se détacha de sa petite main de môme,
Vola dans les cieux assombris, pécule fantôme…
Tomba à côté de son visage pâle,
Où un sourire se détacha, magistral…

La rose…
Sera rouge…

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